Le safran et la littérature
Le safran, épice précieuse aux multiples facettes, est présent en France depuis des siècles. Peu importe l'époque, cette épice a toujours laissé une empreinte notable sur ses contemporains. Sous l'Ancien Régime, le safran, tout comme d'autres épices, pouvait servir de moyen de paiement, notamment pour la magistrature. Sa valeur et son rôle étaient donc essentiels dans la société d’époque. Les écrivains, fascinés par cette épice tant convoitée, ont écrit des textes remarquables pour en souligner les qualités. Nombreux sont ceux qui ont utilisé le safran pour exprimer des sentiments puissants ou pour illustrer leurs propos.
Le safran et l'érotisme
Le safran, épice d'un rouge éclatant et écarlate, évoque la passion, la luxure et l’érotisme. C'est ce que soulignent certains auteurs, à l'instar de Charles Baudelaire dans son poème « Spleen à Paris » en 1869. Il écrit :
« Pourquoi a-t-elle quitté sa petite case si coquettement arrangée, dont les fleurs et les nattes font à si peu de frais un parfait boudoir ; où elle prend tant de plaisir à se peigner, à fumer, à se faire éventer ou à se regarder dans le miroir de ses grands éventails de plumes, pendant que la mer, qui bat la plage à cent pas de là, fait à ses rêveries indécises un puissant et monotone accompagnement, et que la marmite de fer, où cuit un ragoût de crabes au riz et au safran, lui envoie, du fond de la cour, ses parfums excitants ? ».
Baudelaire, avec une sophistication palpable, met en avant le parfum puissant du safran. C’est l’aspect culinaire de l'épice qui est ici souligné de prime abord. Néanmoins, le terme « excitant » utilisé pour décrire les parfums du ragoût suggère une stimulation des sens et évoque peut-être des désirs plus profonds liés à la douce odeur du safran. C’est ce qui est réellement recherché par Baudelaire.
Le safran en allégorie et en couleur
Au-delà de son aspect érotique, le safran est également perçu comme un bien haut de gamme, gracieux et raffiné. Jean Giraudoux, dans son ouvrage « Amphitryon » en 1929, utilise le safran comme une couleur symbolique et mystique :
« MERCURE : Ainsi posté devant la chambre d’Alcmène, j’ai perçu un doux silence, une douce résistance, une douce lutte ; Alcmène porte en soi maintenant le jeune demi-dieu. Mais auprès d’aucune autre maîtresse Jupiter ne s’est ainsi attardé… Je ne sais si cette ombre vous paraît lourde, pour moi la mission de prolonger la nuit en ces lieux commence à me peser, si je pense surtout que le monde entier baigne déjà dans la lumière… Nous sommes au cœur de l’été, et il est sept heures du matin. La grande inondation du jour s’étale, profonde de milliers de lieues, jusque sur la mer, et seul entre les cubes submergés de rose, le palais reste un cône noir… Il est vraiment l’heure de réveiller mon maître, car il déteste être pressé dans son départ, et sûrement il tiendra, comme avec toutes ses amies, dans les propos de saut de lit, à révéler à Alcmène qu’il est Jupiter, pour jouir de sa surprise, et de sa fierté (…) À cette heure notre général se met secrètement en route, au galop de son cheval, et il sera avant une heure au palais. Montre-moi donc tes rayons, soleil, que je choisisse celui qui embrasera ces ténèbres… (Le soleil échantillonne un à un ses rayons.) Pas celui-là ! Rien de sinistre comme la lumière verte sur les amants qui s’éveillent. Chacun croit tenir un noyé en ses bras. Pas celui-là ! Le violet et le pourpre sont les couleurs qui irritent les sens. Gardons-les pour ce soir. Voilà, voilà le bon, le safran ! Rien ne relève comme lui la fadeur de la peau humaine… Vas-y, soleil ! La chambre d’Alcmène apparaît dans une lumière de plein soleil. »
Dans cette scène, Mercure (Hermès) observe Alcmène (mère de Hercule), enceinte de Jupiter (Zeus). Il choisit la lumière safranée pour illuminer la chambre, préférant cette teinte douce et chaleureuse aux autres couleurs, plus sinistres ou irritantes. Le safran, par sa couleur, transforme et rehausse l’apparence des amants, offrant une transition harmonieuse entre la nuit et le jour. Cette couleur safran est associée à des sentiments positifs et à un éveil en douceur.
Par ailleurs, le « Livre des mille et Une Nuits », dans la traduction de Mardrud J.C en 1899, mentionne également le safran :
« Une île qu’ils prirent pour le paradis, tant ils furent émerveillés de sa beauté. La terre qu’ils foulaient était de safran doré ; les pierres étaient de jade et de rubis ; les prairies se déployaient en parterres de fleurs exquises aux corolles ondulantes sous la brise qu’elles embaumaient. »
La description de la terre comme « de safran doré » renforce l’idée d’un lieu paradisiaque. En utilisant le safran, à la fois doré et précieux, l'auteur confère à cette île une beauté céleste et exceptionnelle, presque irréelle.
Rudyard Kipling, dans son œuvre « Le Naulahka » en 1892, évoque un proverbe lié au safran :
« Écoutez, mon enfant, commença la reine avec une infinie tendresse. Un proverbe de mon pays dit qu’un rat, ayant trouvé une racine de safran, voulut ouvrir une boutique de droguerie. Ce proverbe illustre l'idée que posséder un fragment de quelque chose précieux ou complexe ne confère pas automatiquement la compétence ou la sagesse nécessaire pour l'utiliser de manière experte»
Ce proverbe illustre que posséder une chose précieuse ne confère pas automatiquement la compétence nécessaire pour l’utiliser avec expertise. Il met en lumière la naïveté ou la prétention de ceux qui se considèrent comme experts alors qu’ils n’ont qu’une connaissance partielle.
Le safran et la gastronomie
L'écrivain Jeremias Gotthelf, dans « L’Araignée noire » datant de 1901, aborde le safran sous un angle culinaire, soulignant son rôle dans les fêtes et les rassemblements sociaux :
« N’épargne rien pour le faire bon, entends-tu ? Le safran et la cannelle sont là dans un plat sur la planche aux écuelles ; voilà le sucre sur la table, et quant au vin, mesures-en jusqu’à ce qu’il te semble en avoir mis la moitié trop ; il n’y a pas à craindre dans un jour comme celui-ci que tout ne trouve pas son emploi. »
Le safran, ici, est utilisé généreusement pour préparer un repas de fête, et son ajout est un signe de bonne volonté et de célébration. Dans un passage ultérieur, l’auteur écrit :
« En effet, les deux parrains, l’un vieux, l’autre jeune, attendaient ; méprisant le café, d’introduction récente dans le pays et que, d’ailleurs, ils pouvaient boire tous les jours chez eux, ils avaient préféré l’antique, mais excellente soupe bernoise composée de vin, de pain grillé, d’œufs, de sucre, de cannelle et de safran. Ils mangeaient avec appétit et le plus âgé, qu’on appelait cousin, assaisonnait le tout de force plaisanteries à l’adresse du jeune père, lui promettant d’user largement de son hospitalité, car à en juger par la soupe, on voyait que rien n’avait été épargné pour la circonstance et cela laissait supposer qu’il avait chargé le messager de Berne de lui rapporter un sac de douze mesures de safran. »
Le safran, en tant qu’ingrédient coûteux, ajoute une dimension de raffinement au repas, reflétant l'importance de l'événement et la générosité des hôtes. La satisfaction des convives démontre la valeur du safran dans ce contexte.
Un autre passage souligne encore l’importance du safran :
« Lorsqu’enfin tous furent casés, on apporta la soupe, un excellent bouillon coloré au safran et si copieusement garni de ce beau pain blanc taillé par la grand’mère, que le liquide en était presque totalement absorbé par le solide. Les têtes se découvrirent, les mains se joignirent pieusement, avec solennité et lenteur et chacun rendit grâce pour soi-même à l’Auteur de tous les biens. Alors seulement on s’empara des cuillers d’étain, que l’on avait eu soin préalablement d’essuyer à la nappe et bien des bouches affirmèrent hautement que si on avait tous les jours un pareil régal on ne demanderait rien d’autre. »
La couleur dorée du bouillon, obtenue grâce au safran, enrichit non seulement le goût, mais aussi l’apparence du plat. Le safran devient un symbole de générosité et de raffinement. Lorsqu'il est ajouté à la soupe, il donne au bouillon une teinte riche et attrayante, rendant le plat plus visuellement appétissant. Les convives expriment leur satisfaction envers la soupe, affirmant qu'ils se contenteraient d'un tel régal tous les jours. Cela montre que l'ajout du safran contribue de manière significative à l'appréciation du plat, confirmant sa valeur en tant qu'ingrédient de haute qualité.
Louis Dumur, dans son œuvre « Les Trois Demoiselles du Père Maire » datant de 1909 de Louis Dumur décrit le safran comme un produit somptueux :
« Eh bien, qu’as-tu ? me dit tante Bobette au dîner de midi, en me voyant tout chose devant un plat de merveilles qu’elle avait confectionnées exprès pour me faire plaisir. (…) Luisantes, safranées et saupoudrées de sucre, les merveilles étalaient les rouages affriolants de leur pâtisserie compliquée. »
Le safran est alors vu comme une merveille culinaire.
Pour finir, le grand Alexandre Dumas, dans son « Grand Dictionnaire de la Cuisine » datant de 1873 offre également des recettes mettant en valeur le safran. Bien que les quantités puissent être élevées en safran, ces recettes sont passionnantes à consulter.
Le safran : un produit uniquement pour les élites
George Sand, dans « Les Beaux Messieurs de Bois Doré » datant de 1852, sous-entend que le safran est un produit de luxe, réservé aux plus fortunés. Cependant, ne vous inquiétez pas, Arôme noble de Moselle, par sa politique, permet aujourd'hui de déguster le safran à un prix abordable, car les bonnes choses doivent être partagées.
Safran et beauté
En dehors de son utilisation culinaire, le safran trouve également sa place dans les soins de beauté. Mary Summer, dans son livre « Contes et Légendes de l’Inde Ancienne » datant de 1878, écrit :
« Sous ses haillons, Lakshmi a l’air d’une vraie princesse ; ses paupières, que noircit l’antimoine, son beau visage, légèrement enduit de safran, brillent dans l’obscurité comme une étoile au firmament. »
Le safran est utilisé pour embellir le visage et mettre en valeur la beauté. Aujourd'hui encore, de nombreux produits de beauté et parfums contiennent du safran pour ses propriétés précieuses.
©Droits d'auteur. Tous droits réservés.
Nous avons besoin de votre consentement pour charger les traductions
Nous utilisons un service tiers pour traduire le contenu du site web qui peut collecter des données sur votre activité. Veuillez consulter les détails dans la politique de confidentialité et accepter le service pour voir les traductions.